Filière d’excellence, mondialement reconnue et louée pour son élevage de qualité et ses performances dans les compétions internationales les plus prestigieuses, mais filière en souffrance. Les signes d’un déclin sont manifestes depuis plusieurs années. La filière équine française s’interroge sur son avenir. Le cheval a survécu à la mécanisation. Sa place et ses usages privilégient désormais les courses, l’équitation de sport et de loisir, laissant un mince espace au travail.
Fragilisée par la crise économique et financière de 2007, chacune des branches de la filière recherche son modèle conciliant passion et contraintes économiques. Leurs spécificités ne remettent pas en cause leur destin commun car elles mobilisent, dans la diversité des territoires, le même réseau de compétences, d’expertises, de services et d’emplois. Dans un agrégat hétérogène d’usages des chevaux, au sein duquel les acteurs professionnels côtoient les amateurs, les courses sont aujourd’hui le maillon faible. Leur financement fondé sur les paris hippiques s’étiole face à la concurrence récente des paris sportifs. La désaffection des parieurs touche également les turfistes qui se font rares sur les grands hippodromes nostalgiques des foules de jadis. La crise est palpable et rapproche le spectre d’une désagrégation identique à celle qu’ont subie les courses dans certains pays voisins de la France.
En fermant ses Haras nationaux, en 2010, l’État a privé la filière de sa tutelle historique et rassurante. Une tutelle qui s’accommodait de la fragmentation générale, chacun opérant dans son domaine sans se soucier des acteurs des autres branches. Une filière incapable de parler d’une seule voix avec l’espoir de se faire entendre par les pouvoirs publics ou de susciter l’attention du grand public. Attachées à leur partenariat avec l’État, les institutions de la filière ont fonctionné sur un mode centralisé et leurs représentants ont insuffisamment évalué et cherché à anticiper les attentes nouvelles d’une société en mutation. Si « le développement et l’amélioration des races de chevaux » demeurent des objectifs intangibles, il importe d’expliciter et d’actualiser l’intérêt qu’ils représentent pour la collectivité.
Image mythique, le cheval a caractérisé notre civilisation. Déjà figuré par les peintures rupestres de la préhistoire, loué par Job dans l’Ancien testament, « il s’élance au-devant des armures, il se rit de la peur et ne s’effraie pas : il ne recule pas devant le glaive », chéri par François Alexandre de Garsault, capitaine du Haras du Roi de France, en 1770, « le cheval est le plus utile des animaux fournis à l’empire de l’homme ». L’empreinte du cheval est omniprésente dans notre culture. Il a inspiré les artistes. Peintres et sculpteurs l’ont pris pour modèle. Les statues équestres ornent nos lieux publics.
Sans remonter loin dans le temps, au-delà des transformations technologiques du XXème siècle qui ont bouleversé son champ d’action et ses usages, nous disposons d’un faisceau de critères pour reconnaître que le cheval reste un « bien commun », utile à notre société. La filière équine représente de nos jours près de 40 000 actifs (titre exclusif ou principal). Ses activités d’élevage et d’entraînement, ses emplois participent au dynamisme de la vie économique et sociale de territoires ruraux menacés par le déclin démographique. Ses rendez-vous spectaculaires et populaires sur les hippodromes et lieux de concours hippiques sont autant d’occasion de communion avec le cheval. Ce même cheval qui, par les services attachés, dispose d’un fort potentiel d’exportation. C’est ce même cheval mais de trait cette fois, qui garde son utilité dans des travaux de débardage forestier et intervient, au même titre que les ânes, dans l’agriculture biologique et notamment dans la viticulture, ou encore au sein des patrouilles de sécurité tant en milieu urbain que rural. Le cheval, enfin, c’est l’équitation populaire et le sport de haut niveau, le tourisme, l’équithérapie ou encore l’alimentation humaine.
Le cheval a de facto toute sa place dans le patrimoine culturel universel. En janvier de cette année, le Président de la République en a fait la démonstration, à l’occasion de son voyage d’État à Pékin, en offrant au Président XI Jinping le cheval « Vésuve de Brekka ». Encore faut-il que la société porte attention au monde du cheval et reconnaisse sa contribution à l’intérêt général.
Pour dresser un état des lieux aussi objectif que possible et comprendre les raisons pour lesquelles les réponses apportées aux crises antérieures n’ont pas eu d’effet durable, j’ai rencontré l’ensemble des acteurs des différentes branches de la filière et des représentants des institutions et des parties prenantes. Au total, à l’occasion de 70 auditions, six déplacements (Normandie, Saumur, Lamotte Beuvron, Maisons-Laffitte, Senonnes, Cagnes-sur-Mer), plus de 200 personnes ont exprimé leurs préoccupations, leurs visions, leurs attentes.
Les témoignages recueillis caractérisent la gravité de la situation, l’acuité des risques de déstabilisation et plaident en faveur de transformations radicales tant dans les sociétés de courses que du PMU. J’ai observé que la tendance n’a cessé de s’amplifier depuis trois décennies. Les concessions accordées par l’État n’ont pas donné lieu aux réformes indispensables. Le processus est arrivé à son terme et appelle des mesures radicales et immédiates dont la mise en œuvre doit respecter les engagements à prendre par l’État et les institutions des courses.
Les propositions que je formule visent à permettre au cheval d’aller à la reconquête du grand public. À cette fin, la priorité est bien de réenchanter les hippodromes, les courses et les paris hippiques (horaires des compétitions, réduction du nombre de courses « Premium », simplification des modes de paris, abrogation des conventions Grands Parieurs internationaux). En outre, ce ré-enchantement appelle la révision de l’architecture des institutions des courses et l’allègement du poids de leurs dépenses de fonctionnement. Les efforts que déploieront les sociétés-mères permettront de clarifier les rôles respectifs des opérateurs de courses et des opérateurs de jeux hippiques, et parallèlement, de doter le PMU d’un nouveau statut juridique et fiscal.
S’agissant de la fiscalité, le bouleversement des taux de TVA intervenu en 2013 a suscité un vif émoi et mis à l’épreuve les moyens financiers de nombreux acteurs. Les propositions consistent, dans l’attente de la directive européenne, à lever l’hypothèque « TVA » par l’application d’un taux réduit que la mission a suggéré de fixer à 10 %. Il s’appliquerait tant à la pratique équestre qu’à la vente de jeunes chevaux de moins de 3 ans, par leur naisseur. Dès la révision de la directive, le taux intermédiaire pourrait être étendu à l’ensemble des activités de la filière.
Tous les éleveurs, avant de mettre leur jument à la reproduction, doivent s’interroger sur l’avenir du poulain à naître et admettre que celui-ci doit répondre à un usage spécifique. Avec une promotion renforcée de l’équitation de sport et de loisir, du tourisme équestre, et un développement de l’usage du cheval de travail en agriculture biologique comme dans nos villes, que ce soit via l’équithérapie, à des fins de maintien de l’ordre ou par préoccupation écologique, le cheval doit retrouver la place qui est la sienne, en démontrant qu’il est un bien commun au sein de notre communauté humaine.
En conclusion de ma mission, j’ai acquis la conviction que le cheval a tous les atouts pour conforter sa position à la condition toutefois que de profondes transformations structurelles soient promptement mises en œuvre. L’État et les dirigeants des différentes institutions doivent engager le dialogue pour convenir des mesures nécessaires au redressement de la branche « courses hippiques ».
L’urgence à agir répond à la gravité de la crise. Les recommandations que j’ai formulées dessinent les bases d’une co-construction de la confiance, indispensable à la filière pour se réformer, et ainsi, reconquérir le grand public. ■